Dépendre de l’extérieur n’est pas une stratégie de développement viable. L’avenir financier de l’Afrique passe par la mobilisation de ses propres ressources : c’est le message qu’ont martelé les intervenants de haut niveau lors de la cérémonie d’ouverture de l’AFIS 2025.
Placée sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, l’Africa Financial Industry Summit (AFIS), organisé à Casablanca les 3 et 4 novembre, a réuni plus de 1 250 dirigeants et décideurs.
« L’Afrique n’a pas besoin d’être sauvée »
En ouverture, Nadia Fettah, ministre de l’Économie et des Finances du Maroc, a rejeté les discours construits sur la dépendance : « L’Afrique n’a pas besoin d’être sauvée. Elle doit s’appuyer sur ses propres forces : transformer son capital en puissance et sa puissance en souveraineté. »
Elle a appelé de ses vœux une « communauté financière africaine plus unie et plus forte », invitant les participants à « écrire un nouveau chapitre pour une Afrique souveraine ».
Amir Ben Yahmed, DG du groupe Jeune Afrique et fondateur de l’AFIS, a abondé dans le même sens, saluant « l’ambition et la vitalité formidables » du secteur financier africain, où près de douze groupes bancaires affichent un retour sur fonds propres supérieur à 20 % (contre environ 13 % à l’échelle mondiale, selon McKinsey & Company).
« Le capital dont nous avons besoin est dans nos banques, nos compagnies d’assurance, nos fonds de pension et nos fintechs », a-t-il poursuivi, appelant à une régulation mieux calibrée pour renforcer la confiance et fluidifier la circulation du capital sur le continent.
Investissements intra-africains : un potentiel encore sous-exploité
Makhtar Diop, directeur général de International Finance Corporation (IFC), a insisté sur la « magnitude des chocs » axquels l’Afrique est confrontée – endettement, baisse de l’aide internationale, rupture technologique liée à l’IA, incertitudes politiques, volatilité des cours des matières premières. « De toute ma carrière professionnelle, je n’ai jamais connu un niveau d’incertitude pareil », a-t-il confié.
Il a estimé que « le secteur privé doit désormais être en première ligne », rappelant qu’au cours des dernières années IFC a doublé ses engagements annuels sur le continent, à plus de 15 milliards de dollars, avec une part croissante consacrée au capital-investissement et aux financements en monnaies locales.
Makhtar Diop a également plaidé pour l’interopérabilité des places boursières africaines :
« Le jour où un investisseur guinéen pourra investir aussi facilement dans des actifs marocains – et vice versa – nous aurons accompli quelque chose de véritablement transformateur. »
DG d’Ecobank : les fonds de pension doivent investir dans les banques locales, pas uniquement dans la dette souveraine
Le panel d’ouverture de l’AFIS 2025 s’est penché sur la manière de convertir les milliers de milliards d’actifs domestiques – fonds de pension et fonds souverains, assurances, fintechs, dépôts bancaires – en capital productif.
Jeremy Awori, DG d’Ecobank Transnational Incorporated, a souligné l’insuffisance du capital bancaire africain : « Les 100 premières banques africaines détiennent ensemble 126 milliards de dollars de capital – moins qu’une seule banque américaine comme Citigroup (175 milliards), et très loin derrière les grandes banques chinoises (300 à 500 milliards). »
« Nous avons donc besoin que les fonds de pension et les fonds souverains investissent dans les capitaux propres des banques, pas uniquement dans la dette souveraine. Cela accroîtrait la capacité de financement des PME et du secteur productif. »
Il a aussi dénoncé une « perception biaisée du risque », façonnée par des modèles de notation qui ne reflètent pas toujours les performances réelles.
« Beaucoup d’Africains placent leur épargne à l’étranger, pour la stabilité et le rendement attendus. Si nous créons la confiance nécessaire pour démontrer que des rendements comparables – voire meilleurs – sont possibles localement, ce capital restera sur le continent. »
Président de Coronation : « Questionnons les plombiers »
Pour Aigboje Aig-Imoukhuede, président de Coronation Group, le problème n’est pas l’absence de capital, mais sa mauvaise circulation : « Le capital est disponible mais il n’est pas canalisé vers les opportunités qui existent en Afrique. »
Il a recouru à une métaphore parlante : « Quand il y a un problème de plomberie, ce n’est pas aux tuyaux qu’il faut s’en prendre, mais aux plombiers. » L’état d’esprit de ces « plombiers » – institutions financières publiques et privées africaines – doit changer, a-t-il insisté.
« Combien de pays africains disposent d’un bureau de crédit pleinement opérationnel ? Moins de dix.
Jules Ngankam, Group CEO of the African Guarantee Fund (AGF)
Évoquant le Japon de l’après-guerre, il a rappelé : « Le capital domestique mobilisé pour la reconstruction et la transformation du Japon était supérieur au capital venu du gouvernement américain. Cela a nécessité une action très délibéré. » Il a invité les participants de l’AFIS à « réduire les risques » associés aux investissements africains pour permettre un changement d’échelle.
Manque de données, fragmentation, coûts de conformité : les alertes de l’AGF
Pour Jules Ngankam, DG d’African Guarantee Fund (AGF), l’un des obstacles majeurs pour les investisseurs demeure l’accès à l’information : « Combien de pays africains disposent d’un bureau de crédit pleinement opérationnel ? Moins de dix. L’accès aux données reste donc un vrai défi. » Une carence qui complique donc l’analyse des risques.
Il a également pointé la lourdeur réglementaire : capital immobilisé pour répondre aux normes de Bâle et des IFRS, coexistence de plus de 40 monnaies distinctes, marchés secondaires embryonnaires pour transférer le risque.
« Quand on prend en compte le coût réglementaire provenant de tous ces régimes fragmentés à travers l’Afrique, ainsi que les coûts de transaction, investir localement devient très coûteux », a-t-il résumé.
Ethiopis Tafara, vice-président régional Afrique de IFC, a rappelé que, malgré les avancées, « nos marchés manquent encore de profondeur et de liquidité – principalement pour des raisons réglementaires ». « Un marché a besoin de droits de propriété, mais surtout, il a besoin de confiance. Cela suppose un régulateur indépendant et aux finances assurées. C’est cela qui attire les investisseurs. »
Il a insisté sur l’importance de constituer un pipeline robuste de projets bancables : « Si nous prenons le temps de trouver le bon équilibre, nous verrons un changement réel. »
Au fil de plus de 45 sessions, le sommet a exploré les fondations d’une souveraineté financière africaine, notamment le développement des marchés secondaires pour les prêts en souffrance, le rapatriement des réserves de change des gouvernements africains ainsi que l’émergence d’entreprises familiales cotées aux ambitions panafricaines.
Vous trouverez des photos de l’événement ici.