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IA, mobile money et cybersécurité : les nouveaux enjeux de l’assurance en Afrique 

IA, mobile money et cybersécurité : les nouveaux enjeux de l’assurance en Afrique 
26 Juin 2023

Lors d’un récent webinar, Jubilee Insurance, Naked Insurance et Africa Re ont évoqué les nouvelles opportunités qu’offrent les canaux mobiles et les partenariats insurtech aux assureurs locaux pour augmenter le taux de pénétration du marché en Afrique, mais aussi le potentiel des produits destinés à réduire les risques liés à la cybersécurité et au climat. 

Oliver Nieburg 

Le secteur de l’assurance en Afrique représente environ 68 milliards de dollars en primes émises brutes, mais 70 % d’entre elles proviennent d’un seul marché : l’Afrique du Sud. Malgré des opportunités de développement croissantes sur les canaux mobiles, le taux de pénétration de l’assurance sur le continent était inférieur à 3 % en 2019, et s’élève à moins de 1 % dans de nombreux pays, bien en deçà de la moyenne mondiale de 7 %.  

Lors du récent webinar de l’AFIS « Réinventer l’assurance : s’acclimater à une Afrique numérique et verte », Richard Leftley, Consultant pour l’IFC et EIR chez ARK Venture Studio, a rappelé que moins de 1 % de la population est assurée au Nigeria, le pays le plus peuplé du continent.  

Richard Leftley, qui a fondé en 2002 MicroEnsure, l’une des premières insurtechs en Afrique, estime que les assureurs locaux peuvent dynamiser la pénétration du marché et couvrir les risques émergents, comme ceux liés à la cybercriminalité et au climat, car les grands assureurs mondiaux sont absents en dehors du marché sud-africain. 

Ventes mobiles et numériques 

L’Afrique subsaharienne devrait compter 613 millions d’abonnés uniques à la téléphonie mobile d’ici fin 2025, soit la moitié de la population, selon la GSMA. Le Dr. Julius Kipng’etich, PDG du groupe Jubilee Holdings, estime que les compagnies d’assurance ont un retard à rattraper : « Les banques ont plusieurs années d’avance dans leur collaboration avec les opérateurs de télécommunications. » Il appelle les assureurs à les rejoindre rapidement en offrant des produits d’assurance plus intégrés, comme une couverture médicale, via les partenariats existants entre banques et opérateurs de télécommunications.  
 
Les participants au webinar ont aussi rappelé le potentiel du mobile money, encore rare dans le secteur en Afrique, pour éliminer les frictions liées à la collecte des primes d’assurance et réduire les coûts pour les populations à revenus faibles ou moyens. 

Les canaux numériques offrent un autre espoir d’étendre la portée de l’assurance. Si les ventes numériques ne représentent qu’une fraction des primes totales de Jubilee, le groupe kenyan a investi 20 millions de dollars dans la création d’une plateforme numérique pour la vente de ses produits. « Nous devrions assister, d’ici deux à trois ans, à une adoption exponentielle du numérique », précise le Dr. Julius Kipng’etich. 

La révolution de l’IA dans le secteur de l’assurance 

L’IA est une autre innovation technologique qui promet de galvaniser le secteur en réduisant les coûts et en augmentant la rapidité de traitement des demandes, grâce à des modèles de risque prédictifs et à la détection des requêtes frauduleuses. 

Selon Abenaa Kessewaa Brown, Présidente de la Commission nationale des assurances du Ghana, il est impossible d’ignorer l’arrivée de l’IA, et ce changement doit s’accompagner d’une expertise spécifique. Sumarie Greybe, Co-fondatrice de Naked Insurance, estime que l’IA va transformer le secteur, avec un impact significatif sur la distribution et l’achat des produits d’assurances, mais aussi sur la prestation de conseils. 

Pour Sumarie Greybe, des chatbots linguistiques ou des équivalents de ChatGPT capables de proposer des devis personnalisés aux clients pourraient voir le jour d’ici deux à trois ans. Jubilee Insurance a déjà commencé à intégrer l’IA dans certains de ses processus, et a récemment adopté un outil de Machine Learning pour traiter les demandes de remboursement de frais médicaux. 

Face à l’essor de l’insurtech, quelle approche pour les assureurs traditionnels ? 

Sumarie Greybe souligne toutefois qu’il sera difficile pour les compagnies d’assurance traditionnelles d’intégrer l’insurtech sans cannibaliser leurs activités existantes. Elle recommande plutôt aux assureurs de soutenir séparément les insurtechs avec leur capital et de les aider à gérer la dimension réglementaire, comme l’a fait Hollard Group pour Naked Insurance. 
 
Cette dernière, qui propose des assurances auto, habitation et contenu sur son site ou via son application, a choisi d’opérer comme une entreprise technologique pour surmonter ce qu’elle considère comme un manque de confiance du public à l’égard de l’assurance. L’entreprise sud-africaine facture des frais de service, qui servent à régler les demandes d’indemnisation. Créée en 2018, Naked Insurance a clôturé en février dernier une levée de fonds de 17 millions de dollars dirigée par l’IFC. 

L’enjeu de la rentabilité pour les insurtechs 

Selon le Dr. Corneille Karekezi, Directeur général du Groupe et PDG d’Africa Re, les insurtechs qui ciblent les clients à faible revenu avec la microassurance luttent historiquement pour être rentables : « Les projets pilotes se sont multipliés sur le continent. Mais même Lemonade, la plus grande insurtech, commence tout juste à gagner de l’argent ». Une fois que les insurtechs auront fait la preuve de leur rentabilité, les assureurs traditionnels seront plus enclins à mobiliser leurs capitaux. 

Le Dr. Julius Kipng’etich ajoute qu’il faut davantage de données pour viabiliser le système et l’étendre aux populations mal desservies, par exemple les agriculteurs confrontés aux risques climatiques : « Il faut étudier de plus près ces microassurances ciblant les clients à faibles revenus et les segments de marché nouveaux et émergents. » Selon lui, les gouvernements et même des donateurs comme la Fondation Gates et la Fondation MasterCard doivent intervenir et prendre en charge une partie de ces risques dans un premier temps : « Sans cela, les compagnies d’assurance nationale ne pourront pas se lancer dans l’aventure. » 

Une concurrence informelle 
 
Les assureurs ciblant le grand public se retrouvent aussi confrontés à une forme de concurrence non traditionnelle. Le Dr. Julius Kipng’etich indique qu’au Kenya, Jubilee n’est pas tant en compétition avec les autres compagnies d’assurance qu’avec des groupes sociaux, connus sous le nom de « Harambee ». Ces collectifs, qui voient souvent le jour sur WhatsApp, rassemblent des fonds pour faire face à des problèmes que rencontrent la communauté ou un de ses membres, par exemple des frais médicaux. 
 
Le Dr. Julius Kipng’etich précise : « Il n’y a pas de frais de gestion. Le problème disparaît après sa résolution. Mais dans le cas d’une compagnie d’assurance, le coût de l’arbitrage est très élevé. Vous devez venir vérifier la demande, vous rendre à l’hôpital, et il y a des papiers à remplir. Les délais de traitement sont aussi bien plus longs. » Pour le PDG du groupe Jubilee Holdings, des mesures incitatives comme les bonus pour absence de sinistre et l’efficacité des décisions assistées par l’IA pourraient conduire les clients à s’éloigner de ces méthodes informelles. 
 
Il ajoute toutefois que les produits doivent être adaptés aux réalités des clients africains, en citant l’exemple du « Human Wildlife Conflict Product » de Jubilee en Afrique de l’Est, qui couvre les pertes de récoltes causées par les éléphants, les buffles et d’autres grands animaux. Jubilee exploite les données du service kenyan de protection de la faune pour mieux évaluer les risques et a mis au point un logiciel pour traiter les demandes plus rapidement. 

La cyberassurance : un produit d’avenir 

Au-delà de l’assurance pour le grand public, la montée des cyberrisques pour les banques et les entreprises africaines représente un nouvel horizon pour les assureurs et les réassureurs du continent. Selon le Dr. Corneille Karekezi : « Il ne s’agit pas encore d’un produit rentable, mais nous savons tous qu’il s’agit d’un produit d’avenir ». 

Même si les cybermenaces sont quotidiennes pour les entreprises et surtout les banques, les assureurs et réassureurs consacrent pour le moment leurs capacités aux risques et garanties traditionnels, ce qui explique l’intérêt encore faible pour la cyberassurance. Pour le PDG d’Africa Re, les investisseurs se montrent aussi réticents à financer de nouvelles activités après avoir beaucoup souffert sur le marché de l’assurance en Afrique entre 2014 et 2019. Les cyberrisques sont en constante évolution et les pertes considérables auxquelles s’exposent les entreprises peuvent ne pas être rentables pour les assureurs qui les recouvrent avec des primes. 
 
Par ailleurs, de nombreuses entreprises choisissent plutôt d’investir dans la cybersécurité. Pour Africa Re et Jubilee Insurance, les investisseurs en développement offrent un profil plus adapté que les investisseurs commerciaux pour le financement de la cyberassurance : ils sont prêts à accepter des pertes à moyen terme, le temps que les modèles se perfectionnent. 
 

Voir le replay du webinar :