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Les données alternatives, un outil à double tranchant pour l’inclusion financière en Afrique 

Les données alternatives, un outil à double tranchant pour l’inclusion financière en Afrique 
03 Avr 2023

Les données de téléphonie mobile, qui facilitent l’accès au crédit et à d’autres services financiers, peuvent être un outil d’inclusion financière. Mais selon les participants au récent webinar organisé par l’AFIS, leur utilisation doit faire l’objet d’une réflexion approfondie. 

Le phénomène du mobile money a joué un rôle déterminant dans la bancarisation du continent, notamment en Afrique de l’Est, où l’inclusion financière au Kenya a atteint 83 % en 2021. Il a aussi ouvert la voie à l’analyse de données alternatives grâce à l’IA et au Machine Learning, qui permet aux fintechs d’évaluer le profil des non bancarisés et des petites entreprises. Les banques commerciales partenaires peuvent alors proposer des crédits et d’autres services financiers, même en l’absence d’empreinte financière.  

« Tout l’enjeu est de savoir comment utiliser au mieux les données pour formaliser l’informel » souligne Riadh Naouar, Directeur des services consultatifs du FIG pour l’Afrique à l’IFC. Selon lui, les données alternatives pourraient aider l’Afrique à combler un déficit de financement des PME de 331 milliards de dollars et à mieux accompagner les groupes sans historiques de crédit et garanties de propriétés, par exemple les femmes et les agriculteurs. 

Une prise de recul indispensable face aux données 

Les données alternatives sont de nature très variée, allant des informations sur les transactions d’un portefeuille mobile à celles sur le comportement de l’utilisateur : Est-il à l’aise avec le clavier de son smartphone ? Enregistre-t-il le nom complet de ses contacts ? S’exprime-t-il dans une grammaire correcte ? D’autres données numériques peuvent venir éclairer les décisions de crédit, notamment les données AgTech sur la taille des exploitations, la diversification des cultures et l’accès aux intrants pour les agriculteurs. 

Si certains se réjouissent du potentiel pour l’inclusion financière, d’autres voient avec méfiance les prédictions réalisées à partir de données alternatives. « Il s’agit vraiment d’un outil à double tranchant », relève Jameelah Sharrieff-Ayedun, CEO de CreditRegistry, la première agence de crédit du Nigéria. Pour se faire une bonne idée du comportement des clients, elle juge préférable d’analyser plusieurs sources cohérentes d’informations au fil du temps plutôt qu’une seule compilation de données. Il existe le risque que les futurs emprunteurs cherchent à influencer leur score de crédit : « Quelqu’un qui a compris le poids des réseaux sociaux sur ses chances d’obtenir un crédit pourrait par exemple faire le tri dans sa liste de contacts » avertit Jameelah Sharrieff-Ayedun. 

Des banques traditionnelles à la fois optimistes et prudentes 

La plupart des banques traditionnelles africaines commencent tout juste à exploiter les données alternatives. Omar Balafrej, Directeur de l’unité de développement commercial, Bank of Africa, remarque : « Nous n’hésitons pas à nous associer aux fintechs disposant des bonnes compétences et des bons modèles pour avancer dans la bonne direction. » Bank of Africa s’est ainsi associée à la fintech internationale Simbrella pour évaluer les comportements utilisateur sur les portefeuilles mobiles. Elle lancera bientôt son premier projet pilote de nanoprêts à la consommation au Burkina Faso.  

Mais Omar Balafrej rappelle que les données alternatives ne sont pas un pari sans risques pour la banque. Pour son projet pilote au Burkina Faso, elle s’appuiera uniquement sur les données bancaires et le comportement de l’emprunteur sur les portefeuilles mobiles, sans demander de garanties ou de détails sur l’employeur. Bank of Africa envisage toutefois de faire appel à d’autres partenaires technologiques experts en credit scoring alternatif afin d’atteindre les PME, un segment prioritaire pour la banque. Elle collabore actuellement avec l’IFC et la fintech Manobi Africa pour évaluer le profil de plusieurs coopératives agricoles et petites entreprises agroalimentaires au Sénégal. 

Le rôle des opérateurs télécoms 

Les opérateurs télécoms, qui détiennent de larges volumes de données, commencent eux-mêmes à proposer des produits financiers reposant sur des indicateurs alternatifs. MTN Uganda utilise des données alternatives pour ses services MoMoAdvance (facilité de découvert pour les portefeuilles mobiles en partenariat avec NCBA Group), MoKash (prêts à court terme) et MoSente (service de prêt mobile en partenariat avec Jumo). 

 
Dennis Musinguzi, Acting Chief Product Officer de MTN Mobile Money Uganda, souligne toutefois que l’analyse de ces données est parfois délicate : « Comme Airtel Uganda, nous avons rencontré plusieurs problèmes. En fonction de leur niveau d’endettement, les clients peuvent jongler entre plusieurs cartes SIM. Il est aussi possible pour les utilisateurs de mobile money de répartir les fonds entrants et sortants sur différents portefeuilles mobiles, ce qui complique l’interprétation du risque de crédit. » 

Les deux leaders des télécommunications en Ouganda envisagent de développer un ensemble de données partagé avec les régulateurs, afin d’analyser efficacement les portefeuilles mobiles et de pouvoir vérifier si les clients ont contracté des dettes auprès d’autres fournisseurs. 

Une collecte de données transparente 

Avec son modèle de credit scoring basé sur les données des portefeuilles mobiles MTN, Airtel et Orange, Yabx, fintech du groupe indien Mahindra, cherche avant tout à estimer les revenus des clients. Elle repère ainsi les petits commerçants informels, qui peuvent alors obtenir un prêt via les produits collaboratifs des banques et sociétés télécoms de son réseau de partenaires. 

Selon Eunice Ruguru Gatama, Directrice Afrique de Yabx, les entreprises doivent informer clairement les utilisateurs de la collecte de leurs données, mais aussi expliquer à quoi elles serviront : « Souvent, les clients doivent donner leur accord si rapidement qu’ils ne sont pas tout à fait sûrs de ce qu’ils ont accepté. » On peut imaginer par exemple qu’un prêteur se serve du credit scoring pour obtenir les coordonnées de la mère de l’emprunteur, puis qu’il la contacte par la suite pour lui demander de rembourser la dette de son enfant. 

Préserver la confidentialité des données 
 
La plupart des pays africains (36 sur 54) ont mis en place ou développé une réglementation sur la confidentialité des données. « La majorité d’entre elles sont suffisantes pour protéger la confidentialité de nos données » juge Riadh Naouar de l’IFC. Il compte à présent sur l’action des décideurs africains, dont l’agilité a déjà permis l’essor du mobile money, pour adapter les cadres réglementaires à cette nouvelle économie des données.  

Il s’agit notamment de surveiller le pouvoir de marché des grandes entreprises du secteur de la Tech et des réseaux sociaux qui collectent des données alternatives et envisagent de proposer des services financiers. Selon Riadh Naouar, les responsables de la collecte de données doivent aussi faire l’objet d’audits réguliers pour s’assurer de la qualité de leur gouvernance et du niveau de sécurité du processus.  

Un besoin de régulation pour les données non financières 

Pour Omar Balafrej, les gouvernements doivent enfin encadrer l’utilisation des données non financières, telles que celles issues des réseaux sociaux  : « Ils doivent fixer les règles du jeu et définir les informations qui peuvent être utilisées ou non, mais aussi ce qu’il faut supprimer après un certain laps de temps pour respecter la confidentialité de l’utilisateur. » 

Au vu du flou entourant les données non financières, Bank of Africa réserve au marché du retail l’utilisation des données associées aux portefeuilles mobiles. « Nous souhaitons poursuivre sur notre lancée, mais nos principes éthiques nous interdisent tout compromis en la matière », ajoute Omar Balafrej. 

Les participants au webinar soulignent que l’objectif du credit scoring alternatif ne doit pas être seulement d’atteindre de nouveaux clients, mais aussi d’offrir des crédits abordables adaptés à leurs besoins, en récompensant par exemple les bons comportements de remboursement avec de meilleurs taux d’intérêt. 

Voir le replay du webinar :